Août 2023 – Deux semaines au jardin d’Erik

En son pays rêvé

 Le jardin est le sage –

L’homme en est l’heureux

Dépositaire – et généreux !

Ecoute les chuintements des poissons

Et des crapauds la chanson

L’homme est généreux, enjoué

Ecoute le jardin jouer

Il offre ses présages

Du 16 août au 2 septembre 2023, je vivais au Jardin Zen d’Erik Borja avec pour seule contrainte, l’accueil des visiteurs et la gestion de la boutique pleines de sublimes objets japonais (ou en rapport avec l’art de vivre au jardin et au Japon) que mon amie Stéphanie a créée. Ces deux semaines me permettent les premiers pas pour la réalisation de l’ouvrage en projet “Impressions de Jardins, Hommage à Erik Borja.”

Merci à Stéphanie pour sa confiance ! Merci à Erik d’avoir existé et assumé son art de vivre !

 

JEUDI 17 AOÛT, 18h – Nouvelle aventure, nouveau carnet !

Depuis mon arrivée mardi soir, je n’avais pas encore eu le temps de descendre jusqu’au vallon du Dragon. M’y voici…

                                … les jambes dans l’étang des lotus pour apaiser les grattements des piqûres de moustiques reçues le temps de descendre ! Ah ces chers moustiques tigres. C’est la fin de journée. La chaleur se fait moins écrasante et le vent fait chanter les frondaisons. Je suis encore triste d’avoir laissé ma fille ce matin. J’avais tellement envie de partager cette aventure avec elle. Ce jardin. La beauté. Jouer à la marchande. Prendre le temps. Prendre le temps du jardin, chercher les détails, peut-être attraper des lézards, savourer la brise dans les feuillages, descendre à l’Herbasse, piquer des plongeons dans la piscine pour se rafraîchir rapidement… j’aurais aimé tout ça, si elle était restée. Mais les temps où je suis à la boutique lui auraient parus longs. 

Alors… alors je le lisais dans un livre de la boutique ce matin d’ailleurs : « Rien n’est parfait. Tout le monde le sait. Mais apercevoir l’imperfection permet d’encore mieux goûter la beauté de l’ensemble…« 

Alors donc voilà, goûtons ! 

Nouvelle aventure, nouveau carnet. 

Cette après-midi en attendant les visiteurs : crayons de papier et feutre d’après photo d’hier soir

début de soirée : l’univers dans une goutte d’eau …

…essai d’aquarelle ! C’est un papier très beau… mais buvard !!!… à voir comment je réussis à l’apprivoiser ces prochains jours. Pas du tout pratique pour l’aquarelle (c’est pour ça que mon “oeuvre” est assez moche n’est ce pas, parce que je ne sais pas dessiner 😀) mais comme il est beau ce carnet !  Il se déplie et offre une grande fresque (cf la fin de l’article), alors je vais probablement essayer d’autres techniques… ou utiliser parfois d’autres feuilles… nous verrons bien !

SAMEDI 19 AOÛT – Seule. Voilà, j’y suis.

17h30 – Russlan, qui tient la boutique le week-end, vient de partir. Stéphanie et toute la petite famille sont également partis dans l’après-midi pour leurs vacances. 

Me voici seule ici. Complètement seule. C’est comme si la véritable aventure commence maintenant. Je sens mon corps se relâcher et je me fais de la place sur les étagères de la chambre, je m’installe une lampe (oui l’électricité c’est tout un truc dans cette maison : la moitié des lampes ou interrupteurs sont défaillants. La chambre qui m’est prêtée n’avait même pas une lampe de chevet le soir où j’arrivais!). Je vide ma valise et la range dans un placard. Que je ne sois pas juste en camping ici, mais posée, installée dans un quotidien fait du rythme imposé par l’accueil des visiteurs et la tenue de la boutique… et tout le reste!!!

 

DIMANCHE 20 AOUT

Aujourd’hui j’atterris enfin, mon réveil a sonné à 6h. A 7h, je réussissais à me lever : profiter de la fraîcheur et de la solitude. Commencer par prendre soin de la maisonnée : arroser, planter les trois menthes, ranger la vaisselle, piquer une tête dans la piscine. Voilà, les choses sont en ordre au rez-de-chaussée également. 

Je suis montée au jardin sec devant la maison, j’ai pris le râteau japonais, j’ai effacé le dessin, et j’ai convoqué les écailles de poisson. Comme je suis maladroite avec ce râteau ! et comme mon poisson est imparfait ! C’est une pratique. C’est comme dessiner : arrêter la volonté de mouvement, accepter le mouvement de maintenant. 

Levé de soleil sur le jardin sec, après mon ratissage…
et avant le passage du chat ! 

Prendre le temps aussi d’écouter, d’improviser.
Je suis encore timide.

A gauche le flan de la boutique,
Au vent des koinobori,
Au premier plan sur la droite : un lagerstroemia. En japonais c’est saru suberi,  soit littéralement “qui fait glisser les singes”. J’adore cette image et  j’adore cet arbre.

Aujourd’hui pas si seule, je sais me piéger : j’ai rendez-vous avec Nathalie et Christophe, un couple d’artistes photographes et dessinateurs rencontrés vendredi. Je les retrouve au chant du carillon devant la boutique. Un thé japonais, pêche et menthe. Délicatesse. 

Et puis retrouver ma bulle. Besoin de silence. La place de laisser advenir les dessins et les mots.

La bergerie dans les nuages

C’est la maison d’Erik

La bergère rit sous le feuillage

Pour les moutons, c’est la panique. 

Le mort est toujours élégant

Chaque jour, posté sur la pierre de l’hôte

Il accueille les visiteurs

Le mort est exigeant

Ose te pencher et cueillir ses fleurs

ou poser un pied sur les vagues de gravier

Il t’enverra au cimetière !

Prends garde, mais n’ai pas peur

Ce n’est que pour fleurir

La tombe égarée d’une brebis

Ensuite ? point besoin de beaux habits

C’est à la tombée de la nuit

Qu’il t’invitera sans tapage ni bruit

Dos au soleil couchant, point de manières

En son pays créé

Face aux îles du destin

Pour un dernier festin

Avant la prochaine aube

 

La maison d’Erik est celle des nuages
Et dans son jardin commence le voyage

Comme l’aquarelle me paraît mission impossible avec ce papier buvard, j’essaie d’autres techniques pour la couleur : feutres aquarelles, ça reste épais, le papier m’oblige à tracer “vite” : Challenge intéressant ! (ps : le jaune n’est pas si fluo dans la réalité, mais j’aime bien l’apparition de ce flashy surréaliste grâce à la photo)

d’après photo, premier tracé au crayon de papier, puis feutre fin pointe 0,05

SAMEDI 26 AOUT – Vers 19h30 hier, l’orage a enfin éclaté…

… L’ambiance a changé du tout au tout. Je suis étonnée de ces nuages, de cette humidité. Cela faisait 10 jours que je vivais ici un éternel et caniculaire été : apprendre à savoir malgré l’écrasante chaleur, subir les assauts incessants des moustiques et trouver des tactiques pour n’en point trop en avoir dans la chambre la nuit, voir les végétaux dépérir dans leur manque d’eau, arroser mais point trop mais arroser quand même… toute cette dynamique est tombée à l’eau hier soir.

 

J’ai passé la journée au frais. J’ai beaucoup dessiné.

Ce matin j’ai continué ma fresque humaine. Deux très belles âmes rencontrées dans le jardin cette semaine. 

ça prend forme ! J’ADORE ! ce qu’il y a de bien pour moi, avec le dessin, et les expérimentations graphiques, c’est que quelque soit les imperfections, les maladresses… je suis contente du résultat ! l’insatisfaction n’a pas de prise sur cette matière !!! 

Alors je savoure chaque nouvelle expérience ! et je constate la maîtrise qui vient. Chaque dessin est le pas d’après, un peu plus sûr, un peu plus expérimenté.

Mon bureau de jour de pluie !

Cette après-midi, tourner la page. Nouvelle ambiance climatique, nouveaux sujets et nouvelles expérimentations techniques ! Je sors ma plume de verre et les encres.

Technique : encre à la plume en verre, et un peu d’aquarelle

LUNDI 28 AOÛT – 

Pour aujourd’hui, j’avais programmé un réveil afin d’avoir le temps, avant l’ouverture de la boutique, de pratiquer le ratissage sur le jardin de méditation attenant à la maison d’Erik ainsi que mon sport quotidien, mon plongeon dans l’Herbasse… les choses ne se sont pas passées comme projetées, et c’est très bien ainsi ! Le réveil a sonné à 6h30. J’ouvrais laborieusement les yeux, la nuit n’avait pas été de tout repos. Une image faite de mots me venait, ça tombait bien, il y avait un stylo et un dessin de Maève a mon chevet. Sans réfléchir, j’ai commencé à écrire. 

C’est dans la liberté du conscient encore endormi que viennent facilement les mots.

 

– Des jours que je t’attends !

– c’est que maman, 

je me suis perdue dans le jardin

– Comment ? en plus, il faut aller te chercher maintenant ? 

 

Prendre le temps

Avoir le temps 

Etre le temps 

 

Le temps, au jardin

Ce n’est jamais que le mien

J’y rentre et j’en sors

Je me prélasse 

Au bord de l’Herbasse 

Je décide de mon sort

 

L’enfant et le temps

– Tu ne me quitteras jamais, ha ha ha » 

C’était un pervers narcissique

Le temps

Tous les jours elle lui échappait

Tous les jours elle lui revenait 

Elle pouvait se cacher sous les cotoneasters

Elle avait beau taire

Son rire cristallin

Le temps était malin

Il suffisait d’attendre

Elle finissait toujours par avoir faim 

Elle finissait toujours par se rendre

Le temps n’était pas tendre

Le temps la reprenait

Jusqu’au jour où sans le savoir

Ses pas l’emmenèrent 

Au-delà des bruyères

C’est au milieu des narcisses 

Sous des chênes centenaires

Qu’elle quitta son emprise

Caressant les calices

Elle contemplait 

L’étang, les carpes,

S’élevait le son d’une harpe,

Et les paysages secs au-delà 

Silhouette en contre-chant 

Montagnes avant les champs.

Le temps n’eut plus de prise.  

C’était un pervers narcissique, 

Le temps.

C’est au jardin d’Erik 

Qu’elle trouva sa clé des champs. 

 

Appellez la comme vous voudrez

Fille de l’air ou enfant du désert 

Mais depuis ce jour elle est libre 

Elle est allée de l’Herbasse au Tibre, 

Et voyage retour

Elle n’a plus peur des tigres, 

Elle chante pour l’Amour

Elle n’a plus peur

Elle réveille les coeurs

(épilogue) 

Sa voix caresse encore le temps

Ce vieux gourmand

Qui s’est adouci… avec le temps !

Il semblerait que je redevienne maître de mon temps ? En tout cas, lorsque la boutique fut rangée et nettoyée ce soir, j’étais fatiguée, un peu vidée. Je rejoignais le jardin, mon sac de dessins à l’épaule, ma serviette sur l’autre épaule, avec dans l’idée de descendre à la vallée du Dragon, dessiner, tailler un nuage puis finir par un plongeon dans l’Herbasse pour me régénérer. Je n’ai jamais dépassé le jardin d’accueil. Le vent soufflait fort et le recoin de la tsukubai était (relativement) protégé. Après m’être rafraîchie à la fontaine, j’ai sorti mon carnet et commencé ce dessin.

On croit qu’on perd le temps

Mais c’est le temps qui perd

Du terrain 


Quand tu (te) contemple

Tu retrouves le temple 

Les chagrins


Le père et la mère 

S’en vont doucement

Je suis l’airain

Technique : dessin au feutre fin

Un dessin c’est toujours long. La soirée s’approchait quand j’ai lâché mon feutre. Ce n’est pas ce soir que je me baignerais dans l’Herbasse, mais je descends encore me promener, chercher des buissons à tailler.


Des pyracanthas me tendent leurs branches désordonnées, mais je ne suis pas sûre que ce soit le moment pour eux et Martin ne répond pas à mon message. Qu’à celà ne tienne, je trouverai un lonicera au bord de l’étang des lotus pour satisfaire mon besoin de tailler. 

Mardi 29 août – 

Il n’est pas un jour sans que je mange du pourpier. Quel joie d’en avoir trouvé foisonnant au milieu des pieds de tomates. Du pourpier, quelques feuilles de thym, de sauge et d’origan, quelques petites tomates, parfois une tige de fenouil sauvage ou une pomme à peine mûre mais déjà abîmée par la grêle. Voilà ma cueillette quotidienne. Si je n’étais pas si gourmande, cela me suffirait !

Je me sens utile je me sens utile je me sens utile. Aujourd’hui, j’ai posté deux commandes de sécateur (japonais, fabriqué à la main par des petites maisons de forgerons… nous vendons même des sécateurs pour gauchers ! quel art et quelle joie (oui on l’aura compris j’aime tailler, j’aime couper, j’aime désherber, j’aime enlevé les aiguilles de pin que le vent a fait tomber partout sur les nuages :  la joie de prendre soin de la forme du jardin, comme participer à la perfection que ces actes quotidiens et “inutiles”


Tenir une boutique ou l’accueil pour un site aussi beau, j’avoue que ça me déprime lorsqu’il n’y a personne. J’ai envie de “mériter” mon salaire. J’ai envie de “servir à quelque chose”. C’est bête quand même de ne pas juste savourer. Alors aujourd’hui nous avons reçu deux colis… dont un du Japon ! quelle joie de l’ouvrir et découvrir des assiettes que nous n’avions plus, les mini maneki neko, des nouvelles boîtes à thé, tout ça emballé… dans du papier journal japonais ! 

Mercredi 30 août –

Décidément, les jours se suivent et ne se ressemblent pas ! Aujourd’hui pas le temps de dessiner. Cette après-midi, je n’ai pas arrêté à la boutique. Nous avons eu 80 visiteurs, entre les entrées et les achats souvenir, ma présence est justifiée par cette seule journée… ouf  (haha).

Aujourd’hui donc, juste une petite touche d’aquarelle pour compléter ma tsukubai, mais je trouve qu’il manque encore du relief… 

J’ai préféré utiliser mon temps “libre de boutique” à autre chose : courir, méditer et communiquer avec les arbres du jardin (impossible de ne pas prendre quelques photos!), m’immerger dans l’Herbasse…. 

et DANS LA PEAU DE STEPHANIE : préparer la maison pour mon départ : ce matin au levé c’était aspirateur et toile sur tout l’étage, et oui c’est que je pars dans 2 jours et une nuit, j’anticipe !

DANS LA PEAU DE STEPHANIE BIS : ce soir, j’ai repassé pendant que mon quinoa cuisait.

Stéphanie, c’est la jeune femme qui a créé cette magnifique boutique, et qui a toujours participé à la gestion administrative du jardin. C’est également la compagne de Loïc, le jardinier chef. Depuis la mort d’Erik en décembre 2022, ce sont eux, avec le frère d’Erik, qui gère la Fondation créée pour protéger et faire perdurer ce havre de nature travaillé. 

Technique : tracé au crayon à papier et aquarelle, avec pinceau et calame

 

Erik était un grand homme, un maître. J’ai passé à peine deux mois de ma vie à jardiner son merveilleux jardin et vivre son quotidien, mais ces deux mois ont complètement changé ma vie. Sa mort m’a prise par surprise et m’a fait sentir réalisé combien cette rencontre m’avait formée. Touchée par le monde qu’il a créé, j’ose espérer transmettre par mes mots et mes dessins, un peu de la beauté de la vie. 

Le jardin Zen d’Erik Borja se situe à Beaumont-Monteux, dans la Drôme. Il est ouvert à la visite toute l’année. Si d’aventure vous y allez, suite à cette lecture, n’hésitez pas à me partager vos impressions.

Et si vous souhaitez être tenu informé(e) de l’avancer de l’ouvrage en Hommage à Eric Borja, contacter moi via le formulaire contact avec l’objet : « hommage à Eric ».